L'enfant
J'ai vécu toute mon enfance dans une école. A l'époque, il n'y avait pas de téléphone portable, les parents ne pouvaient pas prévenir et souvent mon père ramenait à notre appartement les enfants dont les parents étaient très en retard le soir. Parfois aussi, quand ceux-ci ne s'étaient pas compris pour savoir lequel des parents devait venir chercher les enfants. Le soir, ou le samedi midi, il arrivait donc que des enfants viennent a la maison, le temps que leur parents viennent les chercher. Ceux-ci savaient que nous habitions l'immeuble à côté et sonnaient a l'interphone en cas de retard. Plus tard quand j'ai eu 14 ou 15 ans, il arrivait que je ramène les enfants chez eux, je me souviens de cette mère totalement débordée et qui ne pouvait être a l'heure après l'étude du soir, sa fille remontait chez nous, je devais jouer avec elle et puis ensuite la ramener chez sa mère. Mes parents étaient comme ca. Ils n'auraient jamais appelés le commissariat pour y déposer un enfant, je ne dis pas qu'ils trouvaient cela normal mais disons que ça faisait parti du métier. Ce jour-là, je me souviens que nous étions a table, un samedi, il devait être autour de 13 heures, nous avions pris l'apéro et nous déjeunions. J'avais 11 ou 12 ans. Mes soeurs n'habitaient plus avec nous, j'étais devenu une sorte d'enfant unique. Quelqu'un a sonné à la porte, je suis allé ouvrir, et un voisin le visage défait m'a demandé d'aller chercher mon père. La cour de l'école était entouré d'immeubles, et le samedi peu après la fin des cours, une femme s'était jeté par sa fenêtre du cinquième étage pour s'écraser dans la cour. Certains voisins donnaient sur la cour, ce qui n'était pas notre cas, nous donnions sur la rue et nous n'avons pas assisté au suicide. Mes parents étaient parfois très secrets et parfois me disaient tout. Suivant les problèmes. C'était assez curieux. J'ai ainsi appris que mon grand-père était mort en reconnaissant l'écriture de ma mère sur un faire-part. Dis comme ca c'est terrible. Mais ça s'explique. Mauvais timing. Bref, mes parents m'ont rapidement expliqués qu'une femme était morte en se jetant dans la cour, et qu'ils l'annonceraient dès le lundi aux parents d'élèves. Quelques années plus tard des élèves, les plus grands de CM2 à l'époque en cp ou ce1 expliqueraient qu'ils avaient vu le corps chuter et s'écraser dans la cour. J'étais en sixième ou cinquième donc je ne fréquentais plus l'école de mes parents mais passant ma vie dans l'école et dans le quartier, mes parents me demandaient de ne pas trop en rajouter, de dire que je ne savais rien en allant chez les commerçants si on me posait des questions. Un soir, quelques jours plus tard, je suis rentré chez moi et il y avait un très jeune enfant, peut-être âgé d'un an qui jouait sur un tapis pour bébé et un monsieur assis sur le canapé du salon. Le mari et le fils de la femme suicidée. Ils habitaient 3 étages au-dessus dans notre immeuble. Pendant plusieurs semaines, l'enfant serait souvent chez nous, son père le déposait souvent, sous un quelconque prétexte, mais personne n'était dupe, il n'y arrivait pas. Ma mère parfois, me demandait de le garder quand elle avait une course a faire, peu à peu l'enfant est devenu comme un petit frère pour moi. Comme tout au long de sa vie, mon père ne disait rien, comme les fois ou j'ai du laisser mon lit pour accueillir une prof qui allait mal et avait tenté de se suicider et que j'allais dormir chez les voisins, comme cette fois ou nous avons accueillis des polonais en fuite, comme a chaque fois, mon père ne disait rien et s'il ne semblait jamais ravi, il ne se plaignait pas. Je me souviens quand même dans ce cas précis que mes parents se demandaient s'il ne fallait pas faire quelque chose pour cet enfant. Je crois que ma mère pensait réellement que le type allait reprendre le dessus et pouvoir s'occuper de son fils. Je me souviens d'un jour ou l'homme est venu déposer son fils et en échange a expliqué a ma mère qu'il m'emmenait jouer au foot au parc montsouris. Je n'avais aucune appétance pour le foot mais ma mère a approuvé, alors que je comprenais que le gars se donnait bonne conscience en s'occupant de moi pendant que ma mère gérait son fils. Et j'ai senti le soulagement de ma mère quand je suis revenu, non pas que le type m'aurait fait du mal, mais s'il lui prenait l'envie de se suicider alors qu'il conduisait ça pouvait mal tourner pour mézigue. Le gars était dépressif. Sa femme aussi. Et j'imagine que le suicide de sa femme le rendait encore plus dépressif. Ma mère avait un peu peur parfois, quand il venait et que mon père n'était pas la, il semblait un peu incohérent et je crois qu'elle se demandait s'ils pourraient nous faire du mal. Je me souviens d'une fois ou elle m'a dit de ne pas faire de bruit et d'éteindre les lumières quand le type a sonné. Je ne sais plus pourquoi elle ne voulait pas lui ouvrir cette fois-là mais connaissant ma mère il y avait une bonne raison. Cette situation a duré quelques semaines, peut-être quelques mois. Ces évenements ont 40 ans et j'avoue que je n'ai plus les dates exactes en tête. Un jour l'homme s'est suicidé. Je ne me souviens plus comment, je ne me rappelle pas dans quelles conditions, mais il a suivi le même chemin que sa femme. L'enfant est resté chez nous quelques jours, et puis un organisme d'aide sociale à l'enfance est venu le chercher. Ma mère a un peu accusé le coup même si elle disait que c'était comme ça que ça devait se passer. Un jour, longtemps après, elle m'a dit que l'enfant avait été adopté, et elle semblait heureuse, d'ailleurs elle l'était, parce que ma mère ne voulait que le bien, pour tout le monde. C'est con dit comme ça mais c'est tellement ce qu'elle était. Peu a peu cette histoire est devenue un souvenir. Peu a peu. Et je pensais l'histoire terminée. Un jour, plus de trente ans après ces faits, un an ou deux avant que ma mère ne décède, l'enfant a appelé chez ma mère, qui en fut bouleversé, il disait qu'il recherchait des informations sur ses parents biologiques et que le nom de mes parents apparaissaient souvent dans son dossier. Il a demandé a ma mère s'il pouvait venir la voir et bien entendu elle a acceptée. Elle m'a dit que c'était très émouvant, qu'elle lui avait raconté tout ce qu'elle savait de ses parents, toute son histoire. J'ai parlé de toi elle m'a dit comme tu t'en étais occupé. L'enfant qui devait avoir une trentaine d'années avait une femme et des enfants, il était venu seul mais il avait dit a ma mère qu'il lui présenterait a la prochaine visite. Il lui avait donné son numéro et son adresse, il habitait dans le sud vers toulouse. J'ai bien vu que ma mère était bouleversé. Mais qu'ils avaient établis un contact et que ma mère avait du penser a cet enfant au long de ces années. La seconde rencontre n'eut jamais lieu, car ma mère fut hospitalisé et mourut l'année suivant de cette première rencontre. Quand nous avons envoyés le faire-part de décès de ma mère, ma soeur a trouvé l'adresse de l'enfant dans la carnet de ma mère et elle m'a dit que nous devions lui en envoyer un, elle a rajouté un mot pour lui dire que ma mère avait été heureuse de le rencontrer avant de mourir. Nous reçumes une quantité incroyable de courriers pour le décès de ma mère comme pour celui de mon père, des gens du quartier et des anciens élèves de l'école ou mes parents avaient oeuvrés pendant presque 40 ans. Nous étions un peu blasés de tout ces courriers avec mes soeurs, ils disaient tous que ma mère était une femme formidable quasiment une sainte, et qu'ils avaient établis une relation particulière avec elle ce qui ne manquait pas de rendre furax, soeur toujours en colère. Et puis je suis tombé sur la lettre du jeune enfant. Il avait écrit une lettre très longue, pour dire a quel point il était heureux d'avoir rencontré ma mère et l'importance de cette rencontre, et puis il disait des choses très gentilles sur ma mère car au cours de leur seule rencontre, il avait bien compris qu'elle femme formidable il était. L'émotion m'a assailli, j'ai repensé a cet enfant, a mes parents, et cette lettre m'a totalement bouleversé. J'ai sangloté pour la première et la dernière fois au cours de cette période. Je n'ai jamais revu cet enfant, je pense qu'il va bien. Mais je me souviens de cette lettre, de mes parents, de mes larmes. Je me souviens de ce très jeune enfant jouant sur son tapis dans notre salle a manger. Plus de 40 ans après, je m'en souviens très bien.