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Crawler les souvenirs

Publié le par drink 75

 

Je regarde le visage de mon père dont les yeux se sont un peu fermés. Je regarde le visage de cet homme qui sera mort dans quelques jours. Je me demande si on sait que c'est la fin quand c'est la fin. Il ouvre un peu les yeux parfois, alors je prends sa main dans la mienne. Je me demande s'il souffre, je me demande s'il sait qu'il sera mort dans quelques jours, je me demande s'il me reconnaît, je me demande s'il a conscience de l'endroit ou il se trouve. Je prends sa main dans la mienne et j’exécute un pâle sourire pour répondre à son propre faible sourire. Dehors il neige, de gros flocons tombe sur paris, le balcon de la chambre de mes parents est recouvert de blancs. Je me demande quand mon père sera mort, quand il sera libéré de cette pénible agonie. Je culpabilise un peu en imaginant que c'est peut-être moi, c'est peut-être son entourage qui trouve que l'agonie ne se finit pas, c'est peut-être nous tous qui ne sommes pas capables de gérer la mort qui rôde. Je tiens la main de mon père dans ma main, j'ai l'impression que ce n'est pas arrivé très souvent dans notre vie que nous nous tenions la main. Je me demande si quand je suis né, un peu avant Noël, un samedi comme tous les feignants, je me demande s'il neigeait sur paris. Je regarde l'image de mon père qui se penche sur mon berceau et je devine qu'il prend ma petite pour la déposer dans la sienne. Il fait peut-être le clown, ou il grimace, alors que je hurle à la mort ou que je dors. Quarante ans plus tard c'est moi qui tient la main de mon père dans la mienne. J'imagine qu'il pourrait mourir ainsi, apaisé, j'imagine que cela pourrait arriver mais ça n'arrivera pas. J'essaie de rester concentré. Un truc basique. Une longueur après l'autre. Les mètres les uns après les autres. C'est toujours le début le plus difficile. Le corps semble un peu se rebeller. Les muscles froids ne paraissent pas vouloir se réveiller. L'esprit n'arrive pas vraiment a se concentrer. La fin paraît loin ce qui semble logique vu qu'on vient tout juste de commencer. C'est le début le plus difficile. On cherche son souffle, on cherche son rythme, on recherche le bon tempo, une synchronisation des battements entre les bras et les jambes. J'ai raté ta vie je crois. Je lui dis cela après avoir fini mon verre. Me demandant si je veux en boire un autre ou passer au café. Il est un peu tôt pour picoler ou peut-être trop tard. J'ai raté ta vie. Je répète car je trouve cette phrase très sympa très marrante et j'aime bien l'entendre dans ma bouche. Elle sourit avec cette air comme qui dirait de la fille à qui on ne l’a fait pas. Non en fait c'est plus triste que cela, elle à un air las de la fille à qui on ne la fera plus. Elle remue son verre de bière comme pour faire un peu de mousse avant de le finir cul sec. T'as pas raté ma vie, elle dit, t'as pas raté non plus la tienne. La vie ne t'intéresse pas, je vais te dire, ou plutôt les sentiments des autres te passent au-dessus de la tête. Le serveur nous a ramené une bière à chacun et mes questions existentielles sur le prochain verre s'en furent annihilées. Faut que je change de rade j'ai pensé, maintenant on m'amène à boire sans me demander mon avis. Ils vont me rendre alcoolique. Tu rateras la vie de tout le monde, elle reprend, et c'est tout ce que tu veux. Parce que tu ne comprends pas ce que les gens demandent à la vie et que cette vie d'attendre quoi que ce soit de l’existence te parait totalement saugrenu. Tu es comme un indien dans sa réserve, tu veux rester sous ton tipi. On peut pas t'en vouloir pour ça, mais alors ne fais pas semblant de jouer le jeu. Ne demande pas les règles. Puisque les seules règles que tu acceptes ce sont les tiennes. Elle à raison j'ai pensé, Mais c'est comme ça. Et je crois qu'elle le savait et qu'elle l'acceptait. J'ai regardé ma bière et je me suis demandé si un jour en vieillissant (quoique déjà ) on parvenait à écouter. A prendre une main. A caresser une joue. A tendre ses lèvres. Mais bon ça à duré que quelques secondes cette état de mièvrerie en apesanteur. J'ai attrapé mon verre pour noyer le frisson. Je commence doucement je vois au loin le rebord opposé de la piscine, je pense à tous ces verres ingurgités la veille, je pense aux abus, aux cigarettes, la première longueur quand le corps est froid dans la piscine vide, métallique, presque glaçante aussi. Les bras qui travaillent, les jambes qui travaillent, le mal de jambes, l'esprit qui refuse les deux kilomètres à venir, les 40 longueurs de 50 mètres, ne pas perdre le fil des pensées, compter par 50 ou 100 mètres, c'est toujours la questions que je me pose. Les jours ou ils coupent la piscine en deux, parce que des sportifs viennent entretenir leur corps d'athlète, les jours de la piscine de 25 mètres, je ne compte pas. Je ne compte plus.  Je me consume. C'est comme si tout mon corps me quittait, comme si le sang quittait mon corps. Je ne veux plus jamais te voir de toute ma vie j'ai pensé, je veux te voir chaque jour du reste de ma vie j'ai pensé. Je veux mourir, j'ai pensé, mourir a en crever, je veux vivre, j'ai pensé, vivre comme on a jamais vécu. Je tourne et retourne dans mon petit appartement, de délire et je bois dans mon petit appartement, je suis personne et je suis tout le monde. Je veux crever je crois, crever et encore crever, ne plus savoir ce qui me tient en vie, ne plus comprendre pourquoi je suis encore vivant. Tu sais ce n'est pas la douleur, le plus terrible, ce n'est pas tout ce qui vient me hurler au cerveau, c'est juste que je ne suis jamais tranquille. Je joue à me faire mal, me faire hurler, je joues avec ma propre vie, avec ma propre mort.  J'essaie de me flinguer a petit feu, buvant comme c'est pas possible, me rendant malade autant que je peux. Je joue et je me détruis. Je crois que je suis fini. Je crois que tout est fini.

 

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