Dans nos manches.
Une fille vient vers moi et me demande de lui apprendre quelque chose qu'elle ignore. Tu savais que le petit-fils de Gauguin a aidé l'assassin de jean Jaurès a bâtir sa maison aux baléares ? La fille me regarde, un peu interdite, je crois qu'elle voulait que je lui donne un ragot du taff mais j'en ai pas vraiment. Elle s'éloigne. Je picore quelques conversations dans l'immense baraque que mon collègue et son copain se sont achetés. J'ai trouvé une fille qui ne boit pas pour m'emmener a la fête. Nous sommes loin de la ville. C'est une baraque de village, immense, tu m'étonnes qu'ils veulent faire des chambres d'hôtes. Ils ont eu raison de faire la crémaillère avant de s'y mettre. Les travaux me paraissent titanesque. Bon, il est vrai, j'explique a un gars de mon taff auquel je tiens le crachoir, que pour enlever un abat-jour dans mon ancien appartement je suis obligé de faire venir un tchétchène. Le gars me regarde et je me demande ce qui le choque le plus, que je ne sache pas dévisser un machin électrique ou que j'emploie un tchétchène. Il y a pas mal de gens du boulot a cette fête, ils semblent tous me connaître alors que la moitié me disent vaguement quelque chose. C'est ma tronche. Les rouquemouttes ça passe jamais inaperçu. Je traîne pas trop dans les conversations, ca parle nouveau téléphone portable, nouveau tatouage, version jeune, et ça parle enfants dans les conversations parentales. Une fille qui s'était retrouvé a l'hôtel pour une histoire assez glauque avec son mari et qui m'a donné le plan pour avoir un appartement par le boulot me demande des nouvelles de mon déménagement. C'est presque fini je dis. Je suis content. Il y a du bruit, l'entrée sent la pisse, des meufs bourrés traînent a Lidl, les décorations de noël sont ultra criardes dans les rues, c'est vraiment le lieu dont je rêvais. C'est mon élément. Elle se marre. J'en pouvais plus du cauchemar climatisé ou je vivais, c'était pleasantville, c'était pas pour moi. Une résidence pour jeunes actifs qui passent leur loisir en salle de sport. Pas du tout pour moi. On est plus devenu proche avec la fille très maigre du boulot car on fait toutes les heures supp ensemble et, elle, étant encore plus courageuse que moi ou plus fauché, venait bosser sur place le week-end pour palper l'indemnité kilométrique alors que je restais au chaud en télétravail et que je me contentais d'un ticket-resto. Je me sers un gin-tonic au bar accessible a tout le monde et c'est fou comme cette boisson me semble datée. Dépassée. Frelatée. Mais comme c'est un des putains de meilleurs trucs que j'ai jamais bu dans ma vie. Quand je vais crever, un des derniers trucs dont je vais me souvenir c'est le goût du gin-tonic. Son parfum. Une fille se marre au loin. C'est bien cette fête juste avant le jour de l'an. Comme ça s'est fait. On s'en fout du réveillon on peut passer a autre chose. Passer a autre chose.