Vivre, autarcie
Le fantôme me raconte son voyage en train en m'expliquant son erreur de place à l'aller et au retour, puis elle termine en disant d'elle : je suis con. Je n'ose pas lui dire que l'on dit je suis conne. Je lui réponds que non elle n'est pas con, mais sans ajouter que c'est qu'elle s'en fout des places de train. Il y a des gens, c'est leur vie les places de train, couloir ou fenêtre, train dans le bon sens, il y a des gens c'est leur vie, ce sont sans doute les mêmes qui vérifient leur ticket de caisse au supermarché alors qu'ils ont un caddie qui dégueule. Merde je pensais en avoir pour 226,50 euros et j'ai payé 227,32. Zut de zut de zut, il y a un problème ! Alors que j'attends a la caisse du supermarché, un peu nerveux à l'idée de payer par chèque, ce qui n'a pas du m'arriver depuis 15 ans, une femme se pointe avec un gamin et interpelle la caissière. Ce chéquier que j'ai retrouvé par hasard en cherchant des textes est tellement vieux que c'est mon adresse de l'appartement de Paris que j'ai quitté il y a plus de 4 ans qui est inscrite dessus. J'ai trouvé ce petit garçon qui est perdu vous pouvez faire une annonce, demande la femme qui tient le petit garçon par le bras à la caissère. Dans la région j'explique à la dame, les enfants dont on ne sait pas quoi faire, on les dépose au rayon surgelés. Ah non ça c'est dans ma tête, je n'ai pas le courage ou la folie de la fée clochette et je ne dis rien du tout pendant que la caissière explique à la dame qu'il faut aller a l'accueil pour qu'ils fassent une annonce. Elle intervient quelques secondes plus tard d'ailleurs l'annonce et elle résonne dans tout le magasin. Les salauds de parents qui ont abandonnés leur connard de gosse en croyant s'en débarasser, on vous voit, dit la dame au micro. Enfin c'est ce que j'entends mais je ne suis pas si sur que c'est ce qu'elle dit. La vie nous emmerde, mais c'est parce que nous vivons d'autres vies, nous ne sommes pas capables de nous immerger dans le quotidien, nous tournons des films, nous écrivons des scènes, c'est pour cela que nous sommes seuls, toi et moi, et certains autres, nous ne comprenons rien au quotidien, et nous n'en avons rien a foutre. Sauf quand il nous rattrape. Une fille avec laquelle j'ai couché il y a très longtemps, a toulouse, a la fin du siècle dernier, m'écrit pour me dire qu'elle habite près de paris maintenant. Après lui avoir demandé qui elle était pour être bien sur que je situais la personne, et m'être demandé comment elle a retrouvé mon numéro, après donc avoir compris qu'elle m'avait trouvé sur facebook et écrit par messenger, je lui explique que je n'habite plus paris. Au fond je me dis, la très grande majorité des filles avec lesquelles j'ai couché semble avoir un bon souvenir de moi ce qui me rassure vaguement, vu que je suis totalement paranoïaque. Au politburo, j'ai montré une photo de moi enfant a une collègue qui ne me croyait pas, quand je lui disait que j'étais carotte niveau capillaire quand j'étais très jeune. Chaque fois que je montre une photo de moi très migon et très jeune, je pense a ma nièce qui me disait toujours en regardant ces photos, mais qu'est ce qui s'est passé ? Qu'est ce qui t'es arrivé ? Les filles m'ont dit mais tu devais te faire harceler quand tu étais petit ? Poil de carotte. Je ne crois pas, con comme je suis, il est bien possible que je ne m'en sois même pas aperçu. Je me rends bien compte que je n'ai aucune des trois spécificités indispensables a toute vie sociale pour débuter une conversation. Je n'ai pas été harcelé jeune, je n'ai pas de maladie auto-immune ou orpheline, je n'ai pas de tatouages. Ca calme les conversations. Je repense à cela a la caisse du supermarché car je dis toujours que je suis roux. Alors que je ne le suis plus depuis 30 ans. J'ai gardé ma peau de léopard, mais mes cheveux sont devenus blonds. Je suis persuadé que nous restons ce que nous sommes, jeunes. J'ai connu une fille épaisse comme un étourneau anémié qui ne pouvait pas manger dans la rue car elle était obése quand elle était jeune et elle avait toujours l'impression que les gens la regardaient. Moi je me crois toujours rouquin. Attendre ainsi et payer par chèque, me ramène au siècle précèdent, quand je serrais les fesses après qu'ils aient sortis les machines qui vérifiaient si ton chèque était valable et que j'étais tout le temps interdit bancaire. Même aujourd'hui, quand j'ai de l'argent sur mon compte et alors que j'ai une carte bleue normale, je flippe quand je paie, souvenir de toutes ces cartes pourries que j'avais et qui vérifiais ton solde, encore aujourd'hui je suis toujours étonné quand ma carte passe. J'ai passé plus de temps dans ma vie a me faire jeter par les distributeurs que je suis toujours agréablement surpris quand je peux retirer de la fraîche. Je serais toujours fauché, mais c'est de ma faute, c'est uniquement de ma faute. En déposant mes produits sur le tapis de la caisse, je me demande si je n'ai pas des rapports encore plus intime qu'avant avec le fantôme. Elle boirait du petit lait en entendant cela, (expression vachère de 1837), voire elle se friserait les moustaches (1759), qu'elle n'a pas encore, mais tout vient a point a qui sait attendre (1664, attribué au vicomte de kronenbourg), tout est presque indentique dans notre relation et j'imagine que pour elle tout est parfait. Le plus grand amour doit survivre à quelques instants de bave échangés et au va et vient d'un sexe dans une chatte humide. Au fond, hormis cela, qu'est ce qui a changé ? Je mets trois heures a découper mon chèque du carnet, il est tellement vieux qu'il a du se recoller. Un peu comme nous je me dis. Un peu comme moi avec toi.